La porte s'ouvre sans un grincement alors que vous n'avez pas encore osé y frapper, la lumière de la lune éclaire la silhouette d'un individu dont l'âge apparent est une trentaine d'année. Mais en réalité vous savez bien qu'il est plus âgé que cela, il est certainement plus vieux que ce manoir, qui pourtant est lui même plus vieux que le plus vieux des arbres qui vous entoure, cet individu est sans nul doute presque aussi vieux que vous, et c'est avec honneur que vous avez accepté son invitation. Avec un chandelier à la main, il vous guide dans les couloirs sombres de sa demeure au décor ancien mais raffiné, il tourne son visage vers vous et en vous adressant un sourire dit :
« Je n'aime pas utiliser l'électricité, le jeu des lumières est un art que le feu, notre ennemi mortel, rend magnifique et grandiose par sa puissance. C'est d'ailleurs au près d'un feu que je vais vous demander de vous installer, j'ai toujours beaucoup aimé les cheminées, les flammes ont une telle puissance sur nous que savoir les maîtriser me rempli autant d'effroi que d'orgueil. »
Et en effet vous entendez d'ici le doux crépitement d'un feu de cheminé, et à l'autre bout du couloir une porte entrouverte laisse des ombres mouvantes vaciller sur le mur, votre hôte à sans nul doute le sens du théâtre et de la représentation. Vous entrez dans une salle uniquement éclairée par le feu qui brûle dans une grande cheminée qu'une tête d'aigle surmonte. Celui qui vous a invité vous guide jusqu'à un fauteuil bordé d'or, dont le dossier et le coussin sont du même cuire rouge dont sont fait les imposants rideaux qui masquent les fenêtres et sur lesquels sont brodés, avec du fil d'or, de somptueux motifs.
Alors que vous vous y installez, vous remarquer la présence d'un des serviteurs de votre hôte, celui ci porte sur un plateau de grands verres au bords noirs contenant un liquide d'un rouge foncé. Il dépose ce plateau sur la table d'ébène qui se trouve entre vous et votre hôte, qui a pris place dans un fauteuil similaire au votre. Puis le serviteur s'écarte, non sans regarder d'un oeil inquiet le feu qui brûle dans la cheminée. Votre hôte tend le bras pour prendre un des deux verres et vous adresse un large sourire, dévoilant au passage ses longues canines de vampire, car il n'est pas plus que vous un être humain.
« Du sang de noble, cela fait plusieurs siècles que je m'abreuve toujours du sang d'une même lignée, cette famille fourni un sang remarquable depuis des génération, car ils choisissent ce qu'il y a de mieux en matière d'époux ou d'épouse pour leurs enfants, en 300 ans je n'ai jamais eu à m'en plaindre, et ils ont l'amusante habitude de se rendre régulièrement au dont du sang, cela simplifie largement mon affaire, je n'ai plus à me servir directement sur eux, car voyez vous certaines de mes relations dans la famille finissaient toujours par remarquer que j'avais connu leur arrière grand père, et il était très difficile de les faire taire. Mais assez parlé de moi, si je vous ai invité ce soir mon ami c'est pour vous parler de ce qui fait ma fierté, mon très jeune infant, qui n'a vu le jour qu'un demi siècle plus tôt mais qui a déjà su accomplir de belle chose. Bien sûr pour un vampire comme vous et moi ses actes ne sont pas si extraordinaire mais j'apprécie beaucoup converser avec vous et vous m'avez déjà parlé de votre premier infant et j'aimerai donc partager avec vous une partie de l'histoire de mon élève. »
Confiant dans les paroles de ce vampire vous tendez vous aussi la main en direction du second verre de sang, et avec les même précautions que votre hôte vous en savourez une goutte, un sang d'une telle qualité doit être consommé très lentement, et chaque goutte doit diffuser sa saveur entière avant que vous ne penchiez vos lèvres sur la seconde. Vous savez cela très bien, c'est d'ailleurs vous même qui avez enseigné l'art complexe de la dégustation au vampire qui se tient en face de vous. Puis, étant donné que vous en savez plus sur le sujet que votre hôte est sur le point d'aborder qu'il ne semble le croire, vous répondez :
« Faites donc mon cher Rodael, mais n'hésitez pas à m'avouer le véritable but de cet entrevue, je sais bel et bien que vous n'êtes pas du genre à vous vanter, vous préférez que les gens vous acclament d'eux même, et seulement quand vous pensez le mériter. Décrivez moi donc les mérites de ce jeune Eilraet qui selon vous en est arrivé à l'âge de faire ses preuves. »
Si le temps avait été à l'orage nul doute qu'un éclair aurait frappé le ciel à cet instant précis, accompagnant le sursaut du vampire qui se trouve en face de vous. Mais vous l'avez bien vu il n'y a pas un seul nuage dehors, et la seule lumière de la pièce est toujours la lueur orangée des flammes, par leur danse semblent agrandir la pièce et lui donner des dimensions gigantesques, votre hôte lui semble se tasser, la grandeur qui l'entoure l'écrase. D'un ton néanmoins aussi assuré qu'au début il ajoute :
« Excusez moi mon sire, donc laissez moi faire mon récit. Pour commencer il faut savoir qu'Eilraet est un virtuose. Aucun mortel ne peut se vanter d'avoir entendu deux fois dans sa vie quelqu'un jouer aussi bien du violon sauf s'il s'agissait bien sûr de moi, ou d'un autre vampire ayant travaillé pendants de longues années cet art de la musique. Vous avez certainement déjà entendu parler de lui, mais jusqu'ici à chaque fois qu'il se produisait c'était en tant que mon élève, il ne fait des représentations que pour montrer qu'il a progressé.
Voyez vous, même si son orgueil est marqué, il voue pour moi une admiration démesurée qui le prive de la liberté nécessaire à la création c'est pourquoi j'aimerai le forcer à voler un peu de ses propres ailes. Car Eilraet est capable, à partir d'un thème de départ à peine plus long qu'une dizaine de note, d'improviser une pièce magnifique qui durera au moins une vingtaine de minutes. Mais si on ne lui donne pas de point de départ il se trouve dans l'incapacité de composer, cela vient plutôt d'un problème de volonté, je sais que s'il composait ses morceaux seraient d'un niveau également beaucoup des meilleurs compositeurs, mais il n'a pas confiance en lui et ne jure que par ce que je compose moi même.
En réalité, ses créations sont désormais au nombre de trois, je ne compte bien sûr pas celles qu'il a réalisé en tant que mortel, ou la peur de la mort le conduisait à la précipitation, et en réalité la quatrième est loin d'être achevée. La première, se nomme Embrace, et il l'a bien sûr composée le soir où le Prince m'autorisa à faire de lui l'un des nôtres. Je savais bien sûr en lui faisant ma proposition de faire de lui un vampire immortel qu'il accepterai, mais pour bien sûr je ne pouvais pas lui parler de l'indescriptible horreur de cette transformation.
Alors que l'on dit d'un mourant que la lueur dans ses yeux s'éteint, je vis en vidant Eilraet de son sang une haine qui n'était pas habituelle chez lui s'allumer dans ses yeux. Et quand, enfin réanimé il se remémora l'horreur de ce que je lui avait fait subir, son visage ce barra d'une grimace affreuse et il tenta de s'en prendre à moi. Je n'eut évidemment aucun mal à le maîtriser, et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je souhaite qu'il fasse ses armes. Mais même si il savait ne pas pouvoir m'atteindre sa douleur restait intacte, heureusement, pour une raison que j'ignorai encore, il se refusait déjà à briser la mascarade dont il ignorait tout en se vengeant sur des mortels. Il pris donc son violon et joua ce qu'il ressentait, et en réalité il parvint à me blesser ainsi bien plus profondément qu'il ne l'aurait fait par la force, car Embrace avait pour essence la douleur et la folie qui existe dans chacun d'entre nous, et le contre chant n'était autre que la Bête elle même qui s'était éveillé dans un coin de son esprit, sa première oeuvre était un écho à la naissance du vampire. Mais malgré sa profonde noirceur, ce morceau était ce qu'Eilraet avait fait de plus beau, et, réalisant ce qu'il venait d'accomplir, mon infant me pardonna.
Sa seconde création fut un véritable échec, fier de son exploit il décida de continuer sur sa lancé, et sa première erreur fut de choisir un titre qui montrait déjà qu'il ne s'apprêtait qu'a se plagier lui même, Kindred dans un manque total d'imagination il avait de nouveau utilisé du vocabulaire anglais des vampires. Il repris les mêmes éléments que dans son précédent morceau et les accumula dans une erreur effroyable, imaginez le peintre qui, fier de son tableau, se contente de ne reprendre que les mêmes couleurs pour les combiner et les assembler d'une manière différente, il était plus occupé à chercher à reprendre ce qui faisait la beauté d'Embrace plutôt qu'à tenter de recréer une telle beauté. C'est après cela qu'il cessa de composer, pratiquement totalement. »
Le visage de votre hôte se change alors en une expression qui marque la fin de son récit, et son désir de vous voir engager la suite, décidément les pensées de votre infant sont toujours aussi évidente pour vous, néanmoins vous lui posez la question qu'il attend de vous, en une tentative un peu maladroite de s'assurer que vous avez suivis.
« Mon cher Rodael, ne m'as tu pas parlé d'une troisième composition ? Et quelle est cette raison pour laquelle il ne veut pas s'en prendre au mortel de manière trop importante ? »
Vous remarquez aussitôt que vous l'avez tutoyé, cette vieille habitude vous avait quitté depuis un long moment car vous considériez Rodael comme un égal, mais il semble vouloir favoriser l'image selon laquelle vous lui êtes supérieur et vous comprenez qu'il vous a entraîné avec facilité dans son jeu. Voyant qu'il a progressé dans l'art de la manipulation vous vous promettez intérieurement de lui renvoyer le revers de la médaille mais également que vous accepterez sa requête en récompense de ses progrès. Aucun sourire ne s'affiche sur ses lèvres, il ne commet pas l'imprudence de montrer que vous suivez exactement la voie qu'il a tracée pour vous.
Rodael ne répond néanmoins pas tout de suite à votre question, il pose délicatement ses lèvres sur le bord de son verre ce qui vous laisse le temps de mieux observer la scène. Cette fois ci il ne semble pas écrasé par la lueur de flammes, vous remarquez son ombre, le prolongement de son propre corps, qui s'étend jusqu'au sommet d'un des rideaux de velours, votre infant à repris sa place dans sa propre demeure. Il repose son verre et, tout en pénétrant votre regard du sien ajoute :
« Ah mon cher sire, ces deux questions sont en réalité liées, car sa troisième oeuvre, qui est toujours inachevée, et qui morte le nom de mortalité est du à son admiration de la race humaine. Voyez vous il est rongé par un conflit intérieur qu'il ne sait maîtriser que depuis peu, une partie de lui même adore son immortalité, et l'autre éprouve une profonde mélancolie pour la mortalité de l'espèce humaine, c'est ce qui donne selon lui, tout le sens à l'oeuvre d'un artiste, le fait qu'il sache qu'il est condamné à mourir et qui donc l'encourage à finir son oeuvre, en considérant qu'il ne pourra pas l'améliorer jusqu'à la fin des jours. Eilraet ne tuera jamais un humain si il n'y est pas obligé, et je pense qu'il préférerai encore tuer quelqu'un plutôt que le transformer en goule, à moins que cette personne représente quelque chose dont il a besoin, si je ne lui mettait pas des freins il ferai boire de son sang à toutes les personnes qui lui servent de muses, mais même cela il le fait à contre coeur, car cela le déchire de soustraire quelqu'un à ce qu'il voit comme la perfection de la créativité artistique. Cette partie de lui même qui aime la race humaine cherche à retrouver la mortalité, et c'est celle ci qu'il veut exprimer à travers ce morceau, et il ne vit désormais plus que pour atteindre, soit cette mortalité, soit le golconda, où il sera délivré de l'emprise de la bête. »
Cette fois ci Rodael est totalement maître de la situation, et vous vous rendez compte que n'importe qu'elle vampire aurait été complètement balayé par sa présence, Rodael, chasse une mèche de cheveux qui pend devant ses yeux en un geste qui montre à quel point il est sûr de lui. Il se lève, prend une buche et la pose dans le feu, et alors qu'il le ranime, il continu :
« Et c'est pour cela que je souhaite que vous parliez de lui au Prince, pour que celui ci l'envoie en mission, afin de faire découvrir à Eilraet un autre aspect de la non-vie, il est trop longtemps resté replié dans un monde bien trop fermé qui se limite à lui et moi, il doit s'ouvrir dès à présent pour évoluer encore plus vite qu'il ne le fait déjà. »
Le ton de la parole de Rodael se fait plus tendre au fur et à mesure qu'il avance dans la phrase, mais sa voix domine totalement le crépitement du feu, puis, comme une flamme qui s'éteint, il finit sa phrase et vous regarde droit dans les yeux comme votre égal.
La conversation commence alors réellement entre vous deux, Rodael ayant réussi à surmonter un test que vous ne lui aviez même pas imposé, cette fois ci ce sont deux vieux amis qui discutent au coin du feu, dans un grand et beau manoir. Les sourires s'échangent et, quand vient la fin de votre visite vous trinquez une dernière fois, avant d'être a nouveau guidé à travers les couloirs de cette belle demeure, vers une porte qui ne grince pas, et de saluer un ami de très, très longue date.