Antonin Dnìprev

Antonin a toujours vécu au nord de la mer noire.
Ses parents pêchaient l’esturgeon. Leur dernière prise remontait à plus de dix mois, leur dernier beluga à quelques années.
La raréfaction des poissons avait eu comme effet secondaire une crise au sein du foyer d’Antonin. Ses parents ne pouvant ni ne voulant changer de métier avaient trouvé leur salut dans l’alcool à bas prix, et la lutte. Antonin, prenant ses responsabilités en tant qu’aîné de ses trois frères, suivit rapidement l’exemple parental.
Un soir, tandis qu’un voile flou l’empêchait de distinguer tout à fait une douce scène d’étreinte familiale, agrémentée de quelques mots d’amours, Antonin reçut un projectile qu’il n’identifia pas tout de suite à la tête, suite à quoi il ne put plus rien identifier. Il reprit conscience dans un hôpital – donc loin de chez lui – et une belle femme à la voix douce lui annonça que ses parents devraient venir le chercher d’ici peu de temps. Il attendit. Longtemps.
Le soir venu, se sentant de nouveau capable de marcher droit, il chercha un bar. Il pensait, sans trop d’espoir, continuer à y attendre ses parents. La boisson aidant, il ne vit pas le temps passer dans cette sombre salle aux tales poisseuses et au chaises piteuses, et s’aperçut à peine qu’un individu prêtait attention aux odes éthyliques qu’il composait à la gloire de ses bienveillants géniteurs.
« Qu’est ce que tu comptes faire plus tard, petit ? »
Antonin sursauta un peu, se tut. Son vis-à-vis avait dans ses yeux rouges une inquiétante lueur bienveillante.
« Comme mes parents ? Pas le choix…
-Tes parents ? Tu veux les revoir après qu’ils t’aient assomé, puis abandonné ?
-Ils m’ont ammené …
-Ce sont des voisins qui ont appelé l’hôpital. »
Antonin commença à dégriser.
« Vous étiez là ? »
Il commençait à prendre la pleine conscience de l’absurdité de la scène.
« Par hasard. Ecoute… j’ai besoin d’un élève. Toi, tu devrais changer de maîtres. »
Antonin resta hébété pendant un moment. L’autre lui fit signe de pencher la tête, puis la prit, se pencha à son oreille, et lui murmura :
« Tu vas comprendre… »
Puis il le mordit.